mardi 10 avril 2012

Le sportif et la liberté d'expression


Facebook, Twitter, Google +... Où peut s'arrêter la liberté d'expression du sportif salarié ?


Bien loin des « L'important, ce sont les trois points », « On va continuer à travailler » ou encore « On prend les matchs les uns après les autres », les langues des sportifs, habituellement de bois vêtu, se délient plus facilement par l'intermédiaire de ces nouveaux médias que sont les réseaux sociaux.

Est-ce dû à la barrière de l'écran qui enlève toute inhibition ?

Cet article se penchera plus certainement sur les sportifs de sport collectifs qui, doit-on encore le rappeler, sont de simples salariés des employeurs que sont les clubs professionnels qui sont eux-mêmes des sociétés au statut quelque peu particulier et qui pourrait faire l'objet d'études ultérieures.

Les André-Pierre Gignac, Franck Ribéry, Javier Pastore, Nikola Karabatic et autres Jérôme Fernandez peuvent-ils tout dire ?


La liberté d'expression du sportif salarié maîtrisée par l'employeur dans la presse classique :


Depuis que le sport s'est professionnalisé, la communication est devenue quelque chose de primordial pour tout sportif et de facto, pour tout club.

Un sportif qui passe bien auprès des médias fera vendre son image plus facilement auprès des publicitaires et du public.

Cela aura également des répercussions positives pour le club. L'illustration parfaite est la vente de maillots qu'occasionnera le joueur et qui donnera des recettes supplémentaires au club.

A tel point que ce besoin de soigner l'image des joueurs est parfois plus importante que l'aspect sportif.

La mauvaise image que possède un Franck Ribery dans l'héxagone réduit fortement les chances d'un retour en France pour l'enfant terrible du football français.
Il est imaginable qu'il se voit préférer un joueur moins talentueux mais avec une image impeccable.

Voilà pourquoi les employeurs de sportif ont, depuis de nombreuses années, tenté de maîtriser la communication des joueurs leur enlevant tout esprit de critique sur leur prestation, leur jeu, l'ambiance dans le club...

Les phrases vides de ce sens citées précédemment rentrent ainsi en jeu.

« Rien ne doit sortir du secret du vestiaire »

Le club employeur dispose-t-il d'outils tant légaux que contraignant pour endiguer la liberté de discours critique du joueur ?

Le droit du travail, et notamment la jurisprudence de la Cour de cassation, définit la subordination juridique de l'employeur sur son salarié de la manière suivante1 :

La subordination juridique se matérialise par la faculté pour l'employeur de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Ce fameux arrêt permet donc à tout employeur de donner des ordres et directives à ses salariés.

Mais il est vrai que pour la majorité des salariés, la critique de l'employeur est courante et rarement punie. Celle-ci devient fautive dès que l'on entre dans le domaine de l'injure ou de la diffamation.

Cependant, s'il ne sera jamais reproché à un ouvrier de Renault de critiquer la politique favorable au sport de haut niveau du constructeur automobile tel que la Formule 1, il en va différemment si la personne auteur de la critique dispose d'un poste de responsabilité importante.

Ses déclarations ont une incidence, des conséquences en terme d'image et une raisonnance bien plus importantes que le simple ouvrier. Il dispose d'une obligation de discrétion et de réserve.

Si le directeur financier critique vivement le retrait progressif de la marque au losange en Formule 12 pour quelque raison que ce soit, il peut très certainement craindre pour son contrat de travail3.

Le sportif salarié doit ainsi être assimilé à ces salariés, généralement cadres et titulaires d'un poste à responsabilité.

Envisager une sanction contre le sportif critique apparaît donc de plus en plus envisageable.

Le club sportif maîtrise donc la parole du sportif en lui donnant des instructions plus ou moins précises sur ce qu'il doit dire en conférence de presse, en interview et surtout ce qu'il ne doit pas dire.

Parmi les interdits qui permettent de sauvegarder la cohésion du groupe, le sportif doit être très prudent sur les évènements qui se passent dans l'intimité du vestiaire4.

Il doit également maîtriser ses propos sur la gestion du club, les choix de l'entraîneur5...

Quelles conséquences en cas de dérapage ?


Malgré toutes ces précautions des clubs employeurs, il est arrivé que les sportifs dérapent.

Quelles conséquences ?

Pour envisager toutes les hypothèses, il convient de se pencher sur un cas réel qui n'a certes donné lieu à aucune sanction officielle mais qui reste caractéristique.

Marcos Céara, défenseur latéral du PSG, connaissait des difficultés pour s'imposer en titulaire depuis l'arrivée de Carlo Ancelotti à la tête du club parisien.

Il avait ainsi déclaré à France Football dans une interview que 

 « Je voudrais juste qu'il me dise ce que je dois faire pour avoir une chance d'être dans l'équipe. Mais cela ne changera rien. Tout cela est une stratégie pour que je pète un plomb et que je parte. »

Pour la petite histoire, le club parisien a savamment orchestré des excuses du joueur via un communiqué sans intérêt pour notre étude.

Des sanctions pour le joueur ?

Le Paris-Saint-Germain a certainement « apprécié » cette déclaration comme une faute contractuelle du joueur qui a abusé de sa liberté d'expression critiquant expressément les choix de son entraîneur et donc de son club.

Si la sanction sportive est la première à laquelle on pense légitimement6, il existe un panel de sanctions à la disposition de l'employeur :

  • L'avertissement,
  • La sanction financière7,
  • La mise à pied disciplinaire,
  • La rupture du contrat de travail,

Bien évidemment, imaginer une rupture du contrat de travail aux torts du salarié pour ce type de litige est hypothétique puisque doit être invoquée une faute du salarié d'une telle gravité qu'elle empêche d'exécuter son préavis8.

Les autres sanctions, plus envisageables et qui touchent au porte monnaie, permettent donc de limiter les dérapages.

Pour donner un exemple concret, il n'est pas rare de voir un joueur être mis à pied disciplinairement dans un tel cas9.

La mise à pied, empêchant le salarié d'effectuer sa tâche, annule bien évidemment tout versement d'une quelconque rémunération.

Ce type de sanction ne doit néanmoins pas être confondu avec la mise à pied à titre conservatoire qui est souvent utilisé par les clubs mais n'est pas une sanction10. Son but premier est de préparer une éventuelle sanction à l'encontre d'un salarié contre qui des griefs existent, l'utilité étant de calmer les esprits et pourquoi pas de faire des investigations sur les faits reprochés au salarié.

Malgré ce panel de sanctions, les clubs employeurs semblent désarmés face aux nouvelles technologies.


La fin des tabous ?


Etrangement, les sportifs, avec les nouvelles technologies semblent faire fi de tous ces tabous évoqués précédemment... Les clubs tardent d'ailleurs à sanctionner ces écarts.

Reprenons un exemple réel.

André-Pierre Gignac est un adepte de ces réseaux sociaux et notamment Twitter qu'il utilise sous le pseudo « 10 APG ».

Le 3 avril 2012, il a « twitté » le message suivant : 

« Bjr, je suis étonné de voir des articles me concernant,je n'ai rien demande,le partage des primes est un règle dans le groupe dps des saisons ».

Par ce message, il fait référence à la polémique actuelle sur les primes de match de Ligue des Champions dont il pourrait bénéficier alors que son temps de jeu dans cette compétition a été famélique.

Sans aborder le bien-fondé de cette polémique, il convient de remarquer que le joueur révèle les conditions contractuelles de sa rémunération à l'Olympique de Marseille et donne également son opinion sur l'opportunité d'une telle prime.

Il est légitime de penser que le club employeur aurait préféré non seulement éviter une polémique à l'heure d'un quart de finale retour de Ligue des Champions mais également tenir secret ce type d'information qui relève de la confidentialité des négociations contractuelles entre un salarié et son entreprise.

Cet exemple en est un parmi tant d'autres.

Et ce qui est remarquable, ce n'est pas tant l'écart du joueur11 mais plutôt la multiplication de ces écarts de conduite « numériques » dans les réseaux sociaux.

Tous les tabous semblent tomber. Les joueurs semblent avoir l'illusion que leurs déclarations, dans ce cadre-là, sont officieuses et qu'en aucun cas, Internet est un média comme les autres.

Les sportifs doivent prendre conscience qu'ils sont épiés, et que chaque déclaration qu'ils font est lue, relue, interprétée, commentée et re-commentée.

On se rappelle de l'écart de conduite de ce même joueur lorsqu'il s'est mis à commenter l'actualité et notamment la tuerie de Toulouse, évoquant le retour de la peine de mort12.

Bien d'autres exemples fleurissent chaque jour.


Des clubs désarmés ?


Le phénomène de multiplication est récent mais pour le moment, il ne semble pas que les clubs réagissent comme lors de déclarations outrancières en conférence de presse.

Face à la génération Internet que sont les nouveaux sportifs, les clubs peuvent-ils lutter ? Doivent-ils reléguer sur le banc des remplaçants tous les sportifs usant et abusant des réseaux sociaux ?

La question mérite de se poser mais les clubs employeurs ne semblent pas en mesure de pouvoir endiguer cette tendance.

Il ne reste plus qu'à faire confiance aux sportifs et à leur degré de raisonnement...

Malheureusement pour les clubs, le sportif de haut niveau est égocentrique et pour une fois qu'il peut donner son ressenti intérieur, son mal être plutôt que de sortir des banalités du « groupe qui vit bien », il ne se gênera certainement pas.

Et plus les années passeront, et plus il y aura de sportifs utilisateurs...

La solution ? La seule à ma connaissance serait de faire « un exemple » avec un joueur de renommée mais avec également le risque de se le mettre à dos, ainsi qu'une partie du vestiaire.

Et vous, avez-vous une idée ?

Aurélien BONANNI

1 Cour de cassation, chambre sociale, 13 novembre 1996
2
La saison 2012 de Formule 1 est la première année au cours de laquelle Renault n'apparaît plus comme constructeur.
3
Voir notamment : Cour de Cassation, Chambre Sociale 19 mai 1993, n°91-43.017 ou Cour de Cassation, Chambre Sociale. 19 septembre 2007, n°06-40.491
4 Rappelons nous de la magnifique sortie de Patrice Evra lors du Mondial 2010 qui cherchait à tout prix « Le traitre » qui a donné à la presse les précisions de l'altercation Anelka-Domenech.
5
Que 99% des sportifs respectent officiellement.
6
Avec un abonnement en tribunes pour le reste de la saison en prime
7
Pourtant illicite en vertu de l'article L3251-1 du Code du travail
8
Pour rappel, si l'employeur ne motive pas suffisamment la rupture du contrat de travail à durée déterminée du sportif, le Code du travail punit l'employeur d'une indemnisation correspondant aux salaires à verser jusqu'à la date du terme du contrat, ce qui peut occasionner des indemnités monumentales.
9
Récemment, le joueur de football de l'En Avant Guigamp a été sanctionné d'une mise à pied disciplinaire sans autre précision sur le motif.
10
La mise à pied conservatoire avait été utilisée dans le cas Luyindula au cours de cette saison par le club parisien mais également dans le cas Chabal lorsque ce dernier avait fait paraître son autobiographie au mois d'avril 2011 dans laquelle il critiquait vivement l'arbitrage dans le monde du rugby.
11
De tels propos auraient pu être tenus en interview « classique ».
12
La polémique avait également « éclaboussé » Laure Manaudou sur ce sujet avec l'évocation des jeux vidéos violents, entraînant son départ de Tweeter de... 24 heures avant de revenir tweeter uniquement sur le sport.

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